dimanche 24 janvier 2010

(communiqué lapinais)


Suite à la destructrice Secousse de Terriers survenue dans la Forêt Lointaine (qui, rappelons-le, est l'une des forêts les plus pauvres du monde forestier, jusqu'ici superbement ignorée par les Grands de ce monde -de toute façon, elle est lointaine...), les lapins des Deux-Dents sont entrés temporairement dans la course à l'aide lapinitaire, afin de ne pas laisser les lapins étrangers leur voler la vedette.
VOTRE SERIE EST DONC INTERROMPUE POUR LE WEEKEND,
le temps pour eux de rivaliser de bravoure caritative, souvent scénarisée à défaut d'être organisée, surtout surmédiatisée à défaut  d'être informative, au nom de leur étendard plutôt qu'en celui des sinistrés.
Soyons pour notre part au-dessus de cette course à l'image, et envoyons des rondelles de carottes anonymes et simplement généreuses, en cliquant 


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vendredi 22 janvier 2010

VIII-EXALTATION: Edontologie

J’entends déjà d’ici les plus attentifs d’entre vous crier haro sur le misérable auteur lacunaire que je suis (que je suis, mais en gardant mes distances, tout de même… il faut folie garder !) : « Et le limage ? Le limage des dents ? Il a oublié le limage ! On veut notre limage ! Et notre droit au limage, alors ?! »… Et je dis : que voici de perspicaces exaspérés ! J’avais effectivement oublié… Haro ! Haro !... hem…

Vous l’aviez donc noté, concomitamment à la désauricularisation, l’esganachage stipulé au deuxième « truc » de la réforme du Grand Lapin était également en marche ! On coupait les oreilles ET on limait les deux dents de devant ! Et s’il se trouve parmi vous quelques prosélytes du détail qui voudraient m’emm…nuyer en propageant des interrogations propres à distiller le doute quant à ma bonne foi, du genre : « Ah oui, mais d’abord, COMMENT est-il possible de limer les dents d’un lapin qui a été préalablement BAILLONNé pour ne pas entendre ses cris ? L’auteur nous l’expliquera-t-il ? », et bien je m’insurge !
Je suis peut-être narrateur, mais je refuse l’omniscience ! Na ! Laissez votre imagination travailler, je ne peux pas tout faire ! Je suis pour une bonne répartition et parité entre auteur et lecteurs ! (en plus, vous êtes plus nombreux… enfin, je crois…)

Le limage des dents concernait moins de citoyens lapins que la réduction auriculaire.
-          les lapereaux n’en avaient pas encore, on se contenta de les désauriculer ;
-          les vieux lapins, cacochymes et valétudinaires, n’en avaient plus, on leur confisqua donc simplement leur dentier ;
-          enfin, celles et ceux qui avaient une dent contre le gouvernement, avaient l’autre contre une matraque de Lapin Bleu, on les amputa seulement de leurs droits civiques.

Tous les autres y passèrent, au coup de râpe incisif sur leurs deux incisives !
« Snip snip BZZZZZ ! », signez le registre, « snip snip BZZZZZ », signez ici, « snip snip bzzCRRAC ! », saignez par là, « snip snip BZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ », révisez vos ambitions à la baisse… et caetera, et caetera…

Pour les individus dans les files d’attente, c’était quelque peu stressant, voire très angoissant ! Certains se faisaient tout un film noir de ce qui allait arriver, mais finalement, ressortaient rassurés de leurs opérations, et se voyaient offrir un Chicon Malté, un revigorant typique aux vertus anxiolitiques. Et, le temps de cette pause gastronomique, lapins et lapines se retrouvaient, trinquaient, et comparaient leurs façades réaménagées. Les canons de beauté ne pouvaient plus être mesurés en terme de longueurs, aussi les lapins artistes, les coniglios, se chargèrent-ils de déterminer de nouvelles tendances :
-          Ma, l’apparente nouvelle courbure ellipsoïdale de nos oreilles rehausse les méandres de la conque… La beauté de celle-ci se situe dans sa profondeur !
-          Ma, je pencherais plus vers un embellissement de la fossette naviculaire, dont la régulière courbure trouve sa perfection dans une valeur polynomique à déterminer !
-          Ma, pour ma part, je dirais que ce qui est beau, c’est juste ce qui vous semble l’être… !

Un coniglio commençait toujours ses phrases par « Ma ».

            D’autres comparaient la blancheur de leurs dents carrées, « jaune c’est mieux que marron ! », « écru c’est mieux que jaune ! », ou « avec Jaunidencyl, mes dents, c’est du chicon ! », mais tout ça, finalement, c’était juste une histoire d’ivoire plus clair…

Puis le Grand Lapin, qui s’était fait limer par une professionnelle, sonna la fin de la récréation :
« Mes lapins ! La nouvelle ère s’ébranle ! Dents et oreilles Forestières ont été ratiboisées ! Mais ce n’est pas fini : selon les « trucs » suivant de la Réforme, il nous reste encore à nous débarasser de nos fourrures ! Allez, courage ! Et comme dirait Duracell, fils de Beuzbeuny : les lapins s’épilent ! »

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mercredi 20 janvier 2010

VII- EXALTATION: Desauricularisation

Mais revenons à nos pelotes de laine. Le Grand Lapin avait donc fini son grand discours, et se sentait pyramidalement à la pointe : « Que je suis beau ! Que je suis grand ! Et cultivé! Un vrai bouquin [1]! ».
Gouin, Tad et Eupe venaient d’être embarqués à bord de Patapon, un gros Héron à réactions diverses, du genre « Mais, messieurs, il n’est pas question que vous me mettiez ces trois lapins sur le dos ! », ou bien « Et qui va payer leur trajet, hein ? Hein ? », ou encore « Bien fûr, pas te p’oblème, fous poufez les v’embarquer, fi, fi !... », cette dernière réaction avant envol étant due à la rencontre fortuite de son bec avec le bâton d’un Lapin Bleu.
Quant au Rat Schizo, il trottinait toujours, ce qui, selon l’étude de l’incidence topométrique effectuée par le garde râblé qui l’accompagnait pour assurer sa sécurité, commençait, fff !, fff !, à faire, fff !, quand même, fff ! fff !, un peu beaucoup, fff !, avec le respect que je vous dois, fff !, fff !, fff !

Bien en dehors de tous ces évènements capitaux, la vie suivait simplement son chemin dans la forêt des Deux-Dents… Les arbres continuaient d’étendre leurs multiples bras noueux comme pour inviter la lumière à venir se nicher en leur creux, et les fleurs offraient leurs visages souriants et colorés au soleil qui les embrassait tendrement… Les oiseaux rivalisaient de légèreté et, avec l’humilité de leur petite taille, développaient l’inverse prétention de monter toujours plus haut. Le vent soupirait, le ruisseau pleurait, et ils se caressaient l’un l’autre pour se réconforter de leur fuyante fluidité. La terre était tiède de sa vie contenue et demeurait la plus calme, attentive et maternelle. Bref, rien de vraiment intéressant, en fait… Les murmures apaisants de la nature enveloppaient le paysage d’une soyeuse couverture sonore, altérée soudainement par de bruyants et répétitifs « snip snip bzzzzz ! », « snip snip bzzzzz ! », qui provenaient du Terrier des Fêtes. Snip snip bzzzzz ! Snip snip bzzzzz!

            La longévité dans le monde lapin n’étant pas de celles qui permettent de prendre (et de perdre) son temps, sitôt le discours du Grand Lapin achevé, la réforme proposée avait ipso facto été discutée, examinée, votée, adoptée et mise en oeuvre. Pas par la voix du peuple, mais par le poids des textes: constitutionnellement, toute loi ou réforme lapine proposée par le Grand Lapin était systématiquement applicable. Et appliquée. Seul le Rat Schizo avait son mot à dire. On appelait ce privilège la “ratification”.
Au Terrier des Fêtes, on s’était donc aussitôt mis à travailler à la chaîne : « snip ! », un coup de ciseau, une oreille en moins, « snip ! », deux oreilles en moins, « bzzzzz ! », un coup de lime sur les dents, et allez, au suivant ! Les lapins faisaient la queue pour se faire raccourcir ! Snip snip bzzzzz ! Snip snip bzzzzz!
En tendant bien l’oreille, en fait, on entendait plutôt « Snip snip bzzzzz ! Aïïïïe!!! », «Snip snip bzzzzz ! Ouiiiiiille!!! », ou « Snip snip bzzzzz ! Aaaaargh!!! », mais la dernière onomatopée semblait toujours plus étouffée, et pour cause: un lapin domestique était chargé de baillonner chaque patient, afin d’éviter que ses clapissements de douleur puissent effaroucher la patiente queue-leu-leu de comparses qui n’avaient pas encore été excisés de leurs attributs. Les lapins domestiques n’auraient certes pas posé de problème, habitués et habilités qu’ils sont à accepter leur sort… Mais pour les sauvages, mieux valait prendre des précautions: certains d’entre eux étaient de la garenne de délinquants, et n’auraient pas hésité à tourner le dos à la nouvelle loi!
-          Ca fait même pas peur ! Je suis une vraie grande fille ! disait d’ailleurs Lapine Occhio, une vraie sauvage, tremblant au milieu de la file.
-          Bôh ! De toute façon, qu’est-ce que c’est, deux grandes oreilles, deux grandes dents ?... Encore des organes qui ne servent à rien ! Bon débaras ! philosophait Lapin Dicite, un peu plus loin.
-          Esthétiquement, ça peut être très photogénique… ! estimait pour sa part Lapin Rayfoto.
Dans les rangs, on faisait quelques commentaires, mais on ne faisait pas trop les malins… On assumait cependant et finalement assez bien sa nouvelle condition de lapin.

            On se rendit d’ailleurs rapidement compte, en voyant ressortir les heureux amputés, que l’application de la réforme avait en plus le réel avantage de réduire les discriminations ! Terminé, le handicap des oreilles molles, des p’tites oreilles, de celles qui retombent, et des imberbes ! A la poubelle, les grosses touffues, les petites joufflues et les grandes ridées ! Au recyclage, les « poignées de sachet » pour Tête-en-l’air ! Et bienvenue à la nouvelle auricula, formatée, standardisée, égalitaire !

            Oh !, il est vrai qu’une telle réforme peut, à vos yeux d’adeptes démocrates, sembler nier l’individu, ou être liberticide, voire tendre vers une forme d’eugénisme, ce qui ne serait pas bien, pas bien du tout même, j’en conviens… Mais, pour les individus soucieux de se démarquer de la masse, nos léporidés avaient prévu la possibilité de personnaliser leur coupe, ah !, alors, hein !, mauvaises langues !...

            Ils pouvaient choisir de se faire tailler les oreilles en pointe, ou en arrondi ! Ah !

Qu’importe. La plupart ressortaient très fiers de ce qu’ils se mirent à appeler leurs « pavillons secondaires » !



[1] « Bouquin » : lièvre, ou lapin mâle… Si, si !

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mardi 19 janvier 2010

(Pause syndicale)

Euh, bon, excusez-moi, mais pas d'épisode à votre saga ce jour d'hui... 
Demain, promis, la suite de l'aventure de vos petits lapins! 
Relisez les épisodes précédents, le cas échéant... 
Je tâche d'épisoder au quotidien et de sagater journalièrement, je tâche, je tâche salement. 
Tellement que parfois, c'est la page blanche! 
A demain!


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lundi 18 janvier 2010

VI- LE RAT SCHIZO

Mais mais mais… que la Sainte-Hase me croque et que Beuzbeuny me fume! Je ne vous ai pas parlé du Ministre Raskyzo, et ne pas vous en parler serait manquer à mon devoir médiatique d’écrivaillon cuniculophile! Prenons, un tant soit peu, un temps certain pour parler de ce personnage bas de forme mais malheureusement haut de plafond, de ce personnage qui, en un temps encore plus reculé et arriéré, aurait été nommé Grand Inquisiteur.
Là, il n’était que Ministre du Dedans. Et c’était déjà ça de gagné. « Ministre du Dedans », ça fait moins peur, c’est plus intimiste…

            On ne sait pas grand-chose de son enfance, Raskyzo étant né hors de la forêt des Deux-Dents. D’ailleurs, fût-il enfant un jour ? La négative ne serait qu’une particularité de plus, très équilibrante pour lui qui jamais n’atteignît la taille adulte.

            Dans tous les cas, sa vraie naissance se fit aux côtés –ou à l’arrière- du Grand Lapin, à l’époque où ce dernier n’était pas encore Grand Lapin, mais simple futur candidat se complaisant à faire frétiller la queue de la masse publique avec son fameux projet « Deux-Dents, forêt propre ». Derrière ce candidat serrant pattes de lapins sur pattes de lapins pour se porter chance, la populace croyait voir son ombre instable frétiller… Mais quand vous marchiez sur cette ombre, cette dernière couic-couicait en faisant « couic ! couic ! », ce qui vous permettait de penser qu’il ne s’agissait, au final, pas d’une ombre, mais d’un petit être à part : Raskyzo.
            S’il était difficile de l’apercevoir, lapins et lapines apprirent très vite à l’entendre, dans l’intérêt manifeste et discursif qu’il avait d’aider son modèle « à assumer le destin qui était le sien, et qui était grand »… Personne ne comprit à l’époque qu’il parlait de lui-même, à la troisième personne.

C’était un lapin nain qui n’écoutait que lui-même, mais qui aimait se faire entendre, aussi Madame la Nature, largement aidée par Beuzbeuny qui pourvoit généreusement aux besoins de ses fidèles, lui avait-elle octroyé de courtes oreilles (pour moins entendre les autres) décollées vers son museau (pour mieux s’écouter), museau qu’il avait long (pour mieux se faire entendre). Inutile de préciser qu’il avait les dents longues. Ajoutez à ce portrait une légère tendance spasmodique nuquale, et une personnalité aux tendances variables, et vous comprendrez alors pourquoi, très rapidement, l’ensemble du peuple lapin le surnomma le Rat Schizo. En adepte du maintien de la peur, il adopta lui-même ce surnom.

Quand le Grand Lapin accéda à l’état suprème chef de lapin en fonction (oups, j’ai peut-être mélangé des mots, là… Réflexe de cuistot, quand on me parle de suprème de lapin…), le Rat Schizo était toujours derrière lui, mais doté d’une fonction de Ministre du Dedans propice à faire exploser ses qualités dirigeantes :
-          Il fit enfermer tous les réfractaires dans le Clapier de La Santé (la santé… celle du régime en place, s’entend) ;
-          Il créa la Compagnie des Lapins Bleus dont la tâche était de maintenir l’ordre en maniant le bâton à défaut de la carotte. Les Lapins Bleus étaient pour la plupart des lapins-béliers, et les habitants des Deux-Dents les appelèrent rapidement les C.R.S. : les Compagnons du Rat Schizo…
-          Enfin, il fit renvoyer hors des Deux-Dents les lapins irréguliers, lesquels finirent pour la plupart leur vie dans des fermes coopératives ou dans des civets individuels.
Et, tous les jours, afin d’exsuder ses exploits politiques, il partait courrir à petites foulées autour d’un arbre.

            Le Rat Schizo était lui-même de couleur bleue. Chez nous, les humains, quand quelqu’un est bleu, c’est qu’il n’est plus. Ou alors, il faut s’inquiéter. Mais bizarrement, c’est une couleur assez courante chez les lapins, surtout les lapins nains… Il était bleu, donc, avec un plastron et des papattes blanches, d’un blanc légèrement écru tendant vers le pâtisson.
           
Bleu, Blanc-courge.


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dimanche 17 janvier 2010

V- REFORME & REBELLION: Expatriation

Le Grand Lapin se rendit rapidement compte de l’effet qu’avait eue l’intervention des trois rebelles, et qu’il lui fallait prestement réagir s’il ne voulait pas perdre le profit de son beau discours et de sa non moins belle réforme ! Dans le micro-carotte réglé à fond, il se mit à crier, à en faire faire des arrêt cardiaques aux mamies lapines, et à en faire peur aux bébés lapereaux :

« Lapins ! N’écoutez pas ces trois lâches qui ont peur de changer leur vie de peureux ! Ils veulent nous carotter avec de beaux discours, mais ils oublient que Beuzbeuny veille sur nous, et en particulier sur le Grand Lapin, et le Grand Lapin, c’est moi ! Comment donc aurais-je pu créer une mauvaise réforme, puisque Beuzbeuny lui-même était avec moi ? Lapins, je sais que vous en avez assez d’être tout le temps cachés dans vos terriers, je sais que vous craignez les Tête-en-l’air, je sais que vous ne voulez plus de cette vie ! Alors, mettez-vous de mon côté, acceptez la réforme, et redressez les moustaches ! Tout cela va changer ! »

            Tous les lapins, aveuglés par les brillantes et rassurantes paroles de leur chef, se remirent, un à un, dans le droit chemin, du moins dans le chemin déroulé en tapis rouge-sang par le Grand Lapin, et, l’union faisant la force et le nombre faisant l’exclusion, ils se mirent à huer le petit Gouin et ses deux amis qui les avaient fait douter un instant (rien qu’un petit instant, et encore, c’était pour de rire !…) ! Le Grand Lapin sourit de ses deux dents, et, pour asseoir définitivement sa puissance, se résolut à un coup d’éclat : il prit une paire de ciseaux puis, sous les yeux déjà adorateurs de ses concitoyens, il tailla, souverainement, ses deux longues et belles oreilles noires qu’il saisit et brandit triomphalement, en clâmant :

« Ralliez-vous à mes oreilles noires ! »

            Dans le Terrier des Fêtes, c’était la folie ! Les lapins, conquis une fois pour toutes par ce geste épique, hurlèrent « Vive le Grand Lapin ! », et autres bêtises de ce genre, pour marquer leur désormais dévôte fidélité à leur Réformateur. Celui-ci savoura cette gloire inespérée quelques instants, il en avait bien le droit, après tout, car il avait bien mal aux oreilles, puis il se tourna vers le trio anarchistes en disant :

« Quant à ceux-là… »

            Les visages des lapins se tournèrent vers les individus désignés en les dévisageant d’un unique oeil collectif empli de rien et surtout de méchanté inconscience, et attendirent la sentence qui n’allait pas manquer de tomber…

« Quant à ceux-là…, reprit le chef des lapins, ceux-là… Lapin Gouin, Lapin Tad, et Lapine Eupe, je vous bannis de la forêt des Deux-Dents ! »

            De derrière le Grand Lapin jaillit une boule sautillante et nerveuse, plus proche du rat que du lièvre: le Ministre du Dedans des Deux-Dents, resté jusque là dans l’ombre de son bon et super mentor. D’un geste péremptoire et quasi-prestidigitatoire, il fit apparaître deux Lapins Bleus armés de bâtons qui, au milieu d’un silence mortel et de deux rangées de peluches médusées et moutonnifiées, accompagnèrent nos amis Tad, Gouin et Eupe sur le chemin empaillé de la sortie, pour un aller simple, gratuit mais sans retour, vers l’extérieur des Deux-Dents…

            Le Ministre Raskyzo –c’était son lagonyme- les suivit jusqu’au pas du trou (du terrier), attendit leur disparition manu-militarisée, puis se mit à courrir à petites foulées autour d’un arbre…
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samedi 16 janvier 2010

IV- REFORME & REBELLION: Les trouble-fête

La foule se mit à hurler des « hourras! » devant tant d’audace réformatrice! Il y eût une avalanche d’applaudissements auriculaires (avec les oreilles, ce qu’ils ne pourraient bientôt plus faire, puisqu’ils allaient devoir se les tailler…), tout le monde semblait très heureux de cette nouvelle réforme, le Grand Lapin le premier!
            Mais, au milieu de cette cacophonie enthousiasmée, sous les vapeurs terrestres et ondulantes de la moiteur animale et argileuse, sur ce tapis épars de paille voletante et étouffante, un lapin se dégagea, puis un autre, et un troisième, et, sous la lumière diffuse des fenêtres plafonnières, ils s’avancèrent vers le podium capiteux, francs, frais, fiers. Ce mouvement fût tellement emprunt de détermination et de volonté qu’il ne passa pas inaperçu dans la masse involontaire de la foule. Un silence curieux et étrangement lourd se fit. Le Grand Lapin, pour la première fois mal à l’aise depuis le début de son discours, baissa les yeux sur ses trois compatriotes, en se demandant ce qui était en train de se passer, nom de Beuzbeuny! Il avait bien reconnu Gouin, le lapin nain, Tad, le meilleur ami de Gouin, et Eupe, la petite amie de Gouin, mais que lui voulaient-ils? Il venait de faire un beau discours, de prendre de belles et grandes décisions, de créer un nouvel espoir, et il n’aspirait plus qu’à profiter de l’engouement général! Et cet engouement était en train de retomber! Plus un son, pas même un filet de voix… Dans cette pesante accalmie, le Grand Lapin questionna enfin le trio rabat-joie :

« Et bien, mes amis,… euh… qu’est-ce…?… Je veux dire : il était bien, hein, mon discours ? Hein ?… Je veux dire… Qu’est-ce qu’il y a ?… »

            Le Grand Lapin avait perdu de sa superbe. Il sentait obscurément que quelque chose de désagréable allait se produire, quelque chose qu’il n’avait pas prévu! La température ambiante était retombée avec le silence, et toutes les paires d’oreilles de lapin, revigorées, tendues, et attentives, se redressèrent, aux aguets. Gouin prit la parole :

« Grand Lapin, nous ne sommes pas d’accord avec ta Grande Réforme! », lâcha-t-il.

Un grand « Oooooh! » de consternation et de stupeur monta de l’assemblée! Le Grand Lapin, quant à lui, était tellement soufflé, qu’il ne réussit à produire qu’un couinement sifflant et suffoqué, du genre «couiiiic… », et encore n’est-ce qu’une approximation phonétique, ceci pour vous dire combien il eut l’air ridicule à cet instant précis! Une couleur rouge, rouge de désolation, rouge de colère, rouge d’étonnement, rouge aussi, peut-être, de la chaleur accumulée ces dernières minutes, bref, une couleur rouge monta au visage noir du Grand Lapin… et ne me demandez pas comment on peut voir du rouge sur un visage de lapin poilu de noir, je ne le sais pas! Le Grand Lapin re-couina un coup, puis, reprenant une stature de chef (bien droit, la tête haute, les moustaches en l’air et le regard condescendant…), il réussit à articuler :

« Et… Et en quoi n’êtes-vous pas d’accord? »

            Gouin, soutenu par Tad et Eupe, soutint le regard condescendant du lapin remonté, et répondit calmement :

« Grand Lapin, ta réforme n’est pas une vraie réforme, car elle va détruire notre bonheur à tous! Car, vous tous, avez-vous oublié que le plus important, c’est de rester des lapins? Mais cette réforme va faire de nous des êtres comme les Tête-en-l’air! Grand Lapin, tu nous demande de nous tailler les oreilles, mais pourquoi? Pour ressembler aux Tête-en-l’air? Nous sommes des lapins! Tu nous demandes de nous limer les dents, de nous raser le poil, de porter des vêtements et des lunettes de soleil, mais pourquoi? Pour ressembler aux Tête-en-l’air? Mais nous sommes des lapins! Tu nous demandes de nous comporter en héros de légendes et de nous transformer en armée vindicative et vengeresse, mais pourquoi? Pour ressembler aux Tête-en-l’air? Mais nous sommes des lapins, nous n’aspirons qu’à une odeur de paix! Enfin, Grand Lapin, tu nous demandes de ne plus faire que deux enfants par couple… Aurais-tu oublié que nous sommes et resterons des lapins? Avoir une famille nombreuse est l’un des seuls vrais plaisirs du lapin, et tu veux le lui retirer? Pourquoi? Pour ressembler aux Tête-en-l’air? »

            Tad et Eupe se mirent à applaudir, tandis que dans la foule, on commençait à s’interroger : car, c’est vrai ça, ne plus faire d’enfants, quand même… ça va être vraiment dur! Et puis, se limer les dents… peut-être qu’ils ne pourront plus manger de carottes, après! Et puis… Le peuple lapin se perdit dans un brouhaha de chuchotements, les oreilles en points d’interrogation.
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vendredi 15 janvier 2010

III- REFORME & REBELLION: Le discours du Grand Lapin, les réformes

La foule se mit instantanément, et simultanément, à applaudir, à crier, à manifester son admiration pour le Grand Lapin, et sa haine envers les Tête-en-l’air. Certains sifflèrent, d’autres se mirent à boubouher en faisant « bouh ! bouh ! », les clameurs se substituaient les unes aux autres, s’entrechoquaient, se mêlaient jusqu’à saturation dans l’air qui ne semblait plus être constitué d’oxygène mais de sons ! Et dans le terrier surchauffé, les esprits bouillonnaient, débordaient, et s’évaporaient, car telle est la loi du groupe : perdre une partie de sa raison individuelle au profit d’une plus facile, plus jouissive, et plus dangereuse raison collective ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire que les lapins écoutaient leur chef sans réfléchir, et qu’ils étaient tout le temps d’accord avec lui, même s’il avait dit des grosses bêtises !… Après tout, c’est pour cela qu’on élit un berger : c’est pour nous permettre de devenir des moutons ! Bref, c’est compliqué, mais en résumé, il faut retenir que les lapins étaient pour le Grand Lapin, et contre les Tête-en-l’air. Voilà .
            Le chef lapin était bien content : son discours faisait un bel effet ! Après avoir dressé une oreille impériale et apaisante pour que le calme revienne, il continua donc :

« Je fais un rêve. Je rêve qu’un jour, la forêt des Deux-Dents, toute brûlante des feux de l’injustice, toute brûlante des feux de l’oppression, se transformera en oasis de liberté et de justice. Je fais aujourd’hui un rêve ! »

            Le Grand Lapin s’exaltait, galvanisé par sa verve fiévreuse ! Il ne savait même plus vraiment ce qu’il disait, il se laissait porter par le plaisir d’être écouté comme s’il était en train d’expliquer la dernière recette de carottes aux vieilles lapines ! C’était très agréable pour lui, il avait les poils qui se hérissaient et, avec la sueur, ça faisait comme une peluche que l’on vient de sortir de la machine à laver ! Quel enchantement !
            Mais maintenant venait la partie la plus intéressante du discours : la réforme en elle-même ! Les nouvelles lois qui permettraient au peuple des Deux-Dents de résister aux Tête-en-l’air ! Le silence sous-terrain se fit religieux…

« Frères lapins, Beuzbeuny est bon, il a voulu que nous fassions de nouvelles lois pour nous libérer ! Et ces nouvelles lois, je vais vous les donner, ce sont les votres ! »

            La foule bravota (« bravo ! »), elle ouaisa (« ouais ! »), et siffla (en se mettant deux oreilles dans la bouche). Puis, sur un signe du chef, elle se tût…

« Cette réforme s’appellera « Loi Constitutive Républicaine Lapine pour la Libération du Peuple Citoyen du Domaine Démocratique des Deux-Dents ». Ca ne veut rien dire comme ça, mais cela fait du meilleur effet quand on le prononce… En voici les différentes clauses…
- C’est quoi une clause ? », demanda un lapereau au milieu du silence.

            Le Grand Lapin n’avait pas prévu cette question !

« C’est… euh… c’est… tu ne peux pas comprendre, voilà : tu es trop petit ! Hem… donc, voici les différents trucs de la réforme… »

            Tout le monde comprenait le mot « trucs »…

« Au nom de tous les lapins, la liberté passe par le droit, le droit par le devoir ! Donc :
Le peuple lapin devra se tailler les oreilles le plus court possible, afin d’éviter que l’on puisse nous attraper avec !
            Le peuple lapin devra se limer les dents de devant pour qu’elles ne dépassent plus, et que l’on ne se moque plus de nous !
            Le peuple lapin devra se raser les poils pour éviter de tenter l’ennemi. Tous les poils rasés seront récoltés, et tricotés pour en faire des vêtements pour lapins. Comme cela, même si les Tête-en-l’air nous volent nos vêtements, ils n’arracheront pas notre peau !
            Le peuple lapin devra, dès la nuit tombée, porter des lunettes de soleil afin d’éviter d’être aveuglé par les Tête-en-l’air, puis écrasé !
            Le peuple lapin mangera désormais une triple dose de carottes et de foin, mais en prenant soin d’avaler à chaque fois une dose de colle forte, pour que nos petites crottes deviennent aussi rondes et aussi solides que des perles de verre. Le peuple lapin devra faire ses crottes sur les chemins utilisés par les Tête-en-l’air, afin qu’ils se cassent la figure et que nous puissions avoir notre revanche, et nous moquer d’eux !
            Le peuple lapin s’évertuera à détruire tous les chapeaux qu’il pourra, en criant à chaque fois « Les tête-en-l’air sont bas de plafond ! ». Ce sera d’ailleurs notre devise guerrière !
            Chaque individu du peuple lapin fera la promesse solennelle de se suicider en cas de capture par des Tête-en-l’air, afin d’éviter l’exploitation de notre peuple, et pour préserver l’honneur de notre peuple.
« Mourir plutôt que de servir, mourir plutot que d’être mangés ! », sera notre deuxième devise !
            Enfin, dernier point, et pour les mêmes raisons que précedemment, chaque couple de lapins ne sera plus autorisé à avoir que deux enfants maximum, au lieu des 57 de moyenne habituels, afin d’éviter de donner naissance à des enfants qui risqueraient, les innocents, d’être les premières victimes de cette guerre ! Cette loi est valable jusqu’à un retour durable [de lapin… c’est très drôle d’être traducteur !] et avéré de la paix avec les Tête-en-l’air !
            Que Beuzbeuny soit avec nous, vive la réforme, et vive le peuple des lapins ! »
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II- REFORME & REBELLION: Le discours du Grand Lapin, état des lieux

« Par Beuzbeuny et ses Grandes Oreilles, je déclare qu’on va pouvoir commencer ! », dit-il.
            C’était la phrase rituelle des débuts de réunions lapinesques, et l’autorisation pour chacun de s’asseoir et de déployer ses oreilles ramollies. Tout le monde, même le plus turbulent des lapereaux, attendait d’écouter ce que leur chef avait à dire… Celui-ci profita encore quelques instants de ce calme parfait avant d’entamer son discours qui, il le savait, serait explosif. Un lapereau éternua, ce fût le signal : le Grand Lapin s’empara du micro-carotte et, ployant les oreilles tels les genoux d’un rocker, il se lança fébrilement dans un discours à faire pâlir d’envie les artistes de one-rabbit-show, tellement que c’était vachement bien… je veux dire : lapinement bien !
            Ce discours, qui devait par la suite entrer dans l’Histoire des lapins comme étant LE discours réformateur par excellence, je me dois d’essayer de vous le traduire ici de la manière la plus fidèle possible… Vous m’excuserez pour l’inexactitude de certaines subtilités sémantiques de la langue des lapins, mais il faut avouer que je ne suis pas un traducteur habilité en Lapinais… Voici donc le discours que tînt, ce jour-là, le Grand Lapin :

« Mes lapins, au jour d’aujourd’hui, les carottes sont cuites !!! Une nouvelle ère va bientôt commencer, une ère pure où notre peuple pourra jouir, enfin, de sa liberté !… Car aujourd’hui, je vous le demande, mes frères, sommes-nous vraiment libres ? La réponse est cruelle mais exacte : non ! Non, nous ne sommes pas libres ! Et, ici, nous connaissons tous l’identité de ceux qui nous empêchent de jouir de nos pleins droits : ce sont les Tête-en-l’air ! »

            La foule moustachue hua copieusement à l’annonce du nom de leurs ennemis ! Les Tête-en-l’air (traduction approximative pour « humains », en langue lapine) leurs faisaient du mal depuis bien trop longtemps ! Satisfait de son entame, le Grand Lapin continua :

« Oui, les Tête-en-l’air… Que nous apportent-t-ils véritablement, ces Deux-Pieds perchés, ces Géants-Nus, ces Sans-Dent, ces Petites-Oreilles, ces Mauvais-Bondisseurs, hein, que nous apportent-t-ils ?… »

            Personne n’avait de réponse à cette question…

« Haha ! Vous ne le savez pas, hein ? Je vais vous le dire, moi, ce qu’ils nous apportent : rien ! Rien, rien de rien de rien du tout ! No figue !… et au contraire, même ! Si encore ils se bornaient à n’être rien pour nous que des réverbères vivants inoffensifs, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais non non non ! Ce sont aussi des empêcheurs-de-vivre-bien ! Nous vivons incessamment dans la crainte ! Faut-il vous rappeler ce que nous font ces bipèdes assoiffés de puissance et d’asservissement ? »

            Silence. Ils ne le savaient que trop bien, et savaient également que le discours du Grand Lapin le leur rappellerait…

« Vous ne vous en souvenez pas ? Laissez-moi rafraîchir votre mémoire de lapins :
            Les Tête-en-l’air se moquent de nos grandes et belles dents de devant !
            Les Tête-en-l’air se moquent de nos magnifiques oreilles, mais surtout, s’en servent comme de poignées de sachet pour nous attraper, et si ce n’est pas pour nous sortir d’un chapeau, c’est pour nous manger avec des pruneaux !
            Les Tête-en-l’air nous coupent nos jolies pattes pour en faire des porte-bonheur, mais il faudrait tout de même penser à nous, car, sans patte, nous n’avons même plus de quoi porter notre malheur !
            Les Tête-en-l’air se cousent de beaux vêtements avec notre pelage pour avoir moins froid l’hiver, mais du coup [du lapin… NDLA], c’est nous qui avons froid, et ça, ça n’est pas juste !
            Les Tête-en-l’air nous volent nos enfants pour les donner aux leurs, et leurs enfants ne sont pas tendres : ils oublient de les nourrir et de changer leur literie [note du traducteur : j’ai failli écrire « litière »… houps !], quand ils ne les blessent pas en jouant à « zaccident-avec-la-tuture » !
            Les Tête-en-l’air nous aveuglent la nuit avec de grands soleils pour mieux pouvoir nous écraser avec leurs terribles engins de déplacement !
            Enfin, et c’est le pire, ils nous parquent dans des caisses grillagées pour nous laisser nous y reproduire d’ennui ! Et cela, pour nous manger ensuite ! Et je ne parle pas des terrifiants Tête-en-l’air habillés de kaki qui nous poursuivent jusque chez nous avec leurs tuyaux de feu, et qui le plus souvent laissent nos dépouilles sécher au soleil ou moisir sous la pluie !
            Par les oreilles de Beuzbeuny, il faut que cela cesse ! »
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I- REFORME & REBELLION: Introduction

         Un soleil matinal se leva (car quand il est crépusculaire, il se couche…) sur la fameuse forêt des Deux-Dents, la forêt domaniale des lapins du monde entier. La lumière était blafarde, et la rosée n’avait pas encore eu le temps de sécher au centre-forêt (dans une ville, on parle bien de centre-ville… et ici, il s’agit d’une forêt !), les fleurs n’étaient pas encore sorties de leur drap de corolle, et les oiseaux faisaient « piou ! piou ! », mais c’était parce qu’ils parlaient en dormant. Ils rêvaient encore. La lune s’accrochait encore désespérément à des lambeaux d’obscurité, et les étoiles étaient soufflées une à une par le vent du jour naissant… Tout semblait bien paisible en ce petit matin.

Et pourtant, au centre-forêt, dans le Terrier de Forêt (mais si ! comme un Hôtel de Ville, voyons !…), le Grand Lapin, chef des lapins, était déjà éveillé, et surexcité ! Il répétait son discours d’investiture à sa nouvelle fonction de Grand Lapin, et si vous ne comprenez pas ce que cela veut dire, ne vous inquiétez pas, moi non plus… Demandez à vos parents ! Bref, il répétait son discours, car aujourd’hui était un grand jour pour lui et le monde des lapins : on allait mettre en œuvre sa Grande Réforme, qui permettrait d’améliorer le quotidien de ses concitoyens. Les réformes, ça veut dire changer les lois pour que tout le monde se sente mieux… c’est du moins ce que l’on veut nous faire croire ! Parce que si c’était vraiment vrai, tout le monde ferait tout le temps des réformes et tout le monde serait tout le temps heureux !… Or, nous le savons bien, nous ne sommes pas tous les jours heureux, c’est comme ça… C’est la vie, et on ne peut réformer la vie.

Mais le Grand Lapin, en ce beau matin qui s’éveillait, y croyait vraiment, lui, au bonheur de son peuple, et c’est pour cela qu’il avait écrit plein de nouvelles lois qu’il allait présenter dans son discours ! Alors, le Grand Lapin travaillait, et travaillait encore, et il répétait son discours, le répétait, le répétait, et le répétait encore…

Le soleil avait déjà coloré de bleu le ciel de ses jaunes pinceaux, que le Grand Lapin répétait encore ! La forêt des Deux-Dents était maintenant éclatante de couleurs et de vie, de rumeurs et de bruits, de clameurs et de cris, les belles fleurs s’étiraient, les oiseaux éveillés chantaient et piou-pioutaient de bonheur d’avoir fait de beaux rêves, et les libellules dans le ciel avaient pris la place des étoiles. Les jeunes lapins s’ébattaient dans l’herbe grasse, avec les coccinelles qui voletaient autour de leurs oreilles. Il n’allait pas pleuvoir. Mais les lapins adultes, eux, arboraient une mine beaucoup plus sérieuse et stressée : aujourd’hui, le Grand Lapin allait leur présenter sa réforme ! Et ça, c’était un événement dans la forêt des Deux-Dents !

La matinée se passa, trop rapidement pour les plus jeunes, beaucoup trop lentement pour les grands… Le temps s’égrenait au fil des feuilles tombant d’arbres trop vieux, et au fil des cris d’enfants trop jeunes… L’eau du ruisseau venait mordre le rivage, et se sauvait ensuite, incessamment… Le vent poussait le soleil plus haut dans le ciel… Soudain, une escadrille de coucous plana au-dessus de la forêt en criant : « Il est 11h00 ! Il est 11h00 ! Il est 11h00 ! », et  ce fût l’effervescence ! Tous les lapins, adultes et enfants, se précipitèrent vers le Terrier des Fêtes, le plus grand terrier de la forêt.

Dans le terrier, quel brouhaha ! Les lapins se posaient entre eux les questions qui les rongeaient, se confiaient leurs inquiétudes et attentes, énuméraient leurs espoirs, débattaient tandis que les lapereaux se débattaient parmi la foule pour ne pas se faire écraser… Certains d’entre eux pleuraient, d’autres riaient, d’autres criaient, tout le monde était bien énervé ! Le bruit dans le terrier avait atteint une telle intensité que les longues oreilles de chacun commençaient à s’échauffer !… et les oreilles de lapin, quand elles sont échauffées, elles se ramollissent, deviennent toutes raplapla, et c’est totalement inesthétique : ça balotte comme des pleurotes, et ça pendouille comme des nouilles… Mais cessons là ces considérations auriculaires, et revenons à notre gibier… pardon, à nos amis, je veux dire. Le tumulte des voix de lapins était si élevé que, lorsque soudainement le silence se fit, certains pensèrent être devenus subitement sourds ! Le silence avait terrassé le bruit en un instant : le Grand Lapin venait d’apparaître sur le podium en paille du Terrier des Fêtes !
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